Un livreur Glovo à Casablanca attendant sa course. Crédit : Mustapha Razi / Le Desk

06.10.2022 à 13 H 07 • Mis à jour le 06.10.2022 à 23 H 35 • Temps de lecture : 26 minutes
Par Salma Hamri

Les Glovers marocains livrés à eux-mêmes

REPORTAGE Depuis l’été 2018, les coursiers de Glovo sillonnent à grande vitesse les rues des villes marocaines pour livrer un maximum de commandes en un temps record. Munis d’un statut d’auto-entrepreneur, d’une moto et d’un smartphone, ils sont enrôlés dans l’aventure de la livraison à domicile avec pour promesse l’assurance de gains et d’une autonomie d’emploi. En réalité, la pression subie les maintient dans la précarité et les expose aux multiples risques de l’ubérisation de leur métier

« Ce n’est pas le moment de poser ce genre de questions ». La communicante Dana Al Mubaidin vient s’interposer à notre tentative d’entretien avec Oscar Pierre, 29 ans, cofondateur et P-DG de Glovo, la pépite espagnole de livraison à domicile qui, depuis le démarrage de son aventure en 2014, a « conquis le monde ». L’agence DABuzz lui avait concocté ce 5 octobre un bien sympathique happening de presse dans la villa cossue sise Bd. Rachidi qui abrite à Casablanca le tout nouveau siège de GlovoApp, l’antenne marocaine de la marque lancée en 2018.

Du jeune patron barcelonais de la pousse devenue licorne, ingénieur aéronautique chez Airbus à Toulouse dans une vie antérieure, venu fêter les quatre ans d’activité de sa filiale locale, Le Desk n’obtiendra pas de réponses à ses interrogations, sinon la promesse confuse de sa garde rapprochée de revenir vers nous.

C’est que le pince-fesse ne devait pas souffrir d’anicroches par des questions qui fâchent sur les méthodes de l’entreprise imposées à son « armée jaune » payée au lance-pierres. Y était convié en guest star, le temps d’une photo op, Ryad Mezzour, le remuant ministre de l'Industrie et du Commerce reparti à la hâte avant même la découpe du gâteau d’anniversaire. Une présence furtive qui vient justifier cependant la pleine satisfaction du ministre envers Glovo avec qui il a signé, en juin dernier – tout comme avec son concurrent Jumia- une convention de partenariat promettant notamment une sécurisation de l’emploi doublée d’une couverture sociale pour ces « champions du e-commerce ».

Dans sa courte déclaration de circonstance, Mezzour se réjouira du fait que « le revenu des 4 000 coursiers dépasse de 30 % le SMIG ». « Ce qui permet à plusieurs jeunes d’avoir des revenus et des opportunités dans une activité qui est en train de se développer rapidement dans notre pays », a-t-il lancé sous le crépitement des flashs.

Rencontre entre le ministre de l'Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, et Oscar Pierre, cofondateur et P-DG de Glovo au siège du Bd. Rachidi. Crédit : Salma Hamri / Le Desk

Il faut dire qu’en 7 ans, Glovo, aujourd’hui présent dans pas moins de 26 pays a vite bousculé les poids lourds du secteur que sont le Californien UberEats (spin-off du spécialiste du VTC Uber) et le Britannique Deliveroo. Glovo est disponible dans plus de 40 cités africaines, et compte quelques 12 000 coursiers. Au Maroc, les 4 000 Glovers sillonnent chaque jours 19 villes. Un record pour un service du genre au Royaume.

Glovo qui a multiplié ses levées de fonds ces dernières années à coups de centaines de millions d'euros apportés essentiellement par Mubadala, le fonds souverain d'Abu Dhabi, Lugard Road Capital, Luxor Capital Group, Delivery Hero ou encore la banque d'affaires GP Bullhound, qui la valoriserait autour des deux milliards d'euros, affichait au Maroc un chiffre d’affaires de 105 millions de dirhams (MDH) en 2021, mais déclarant des pertes de 35 MDH, par un tour de passe-passe d’optimisation fiscale qui justifie de grosses dépenses dont 103 MDH en « achats consommés et fournitures » et 69 MDH en « charges externes »…

Par ailleurs, comme nous le rapportions en mars 2022, Glovo avait fait passer son capital de 10 000 dirhams à 134,94 MDH. Une opération actée fin novembre 2021.